Cadeaux des gouvernements étrangers
de Andreas Michaelis
La
RDA est le produit de la Guerre froide. La séparation en deux Etats
allemands distincts vient du fait que les grandes puissances alliées
ont reconnu qu'elles ne pouvaient pas imposer leurs conceptions politico-sociales
respectives dans l'Allemagne toute entière. La RDA est dès
le début en position défensive. Elle est créée
alors que de nombreux Etats ont reconnu la République fédérale
en tant qu'Etat souverain prenant la relève du Troisième
Reich effondré. Le gouvernement et le parlement de l'Etat ouest-allemand
sont légitimés démocratiquement et l'économie
du pays est sur le point de se consolider. Derrière la République
Fédérale Allemande se tiennent la plupart des vainqueurs
de la Deuxième Guerre mondiale, donc du «monde occidental» dans
son ensemble. Face à elle, la RDA apparaît comme une création
politique permettant à l'Union soviétique d'imposer ses
intéréts stratégiques en Europe. Les puissances occidentales
ne lui concèdent ni droit à l'existence, ni chance de survie
historique. Dès le départ, la République Démocratique
Allemande a des difficultés à obtenir la reconnaissance
internationale. Les premiers Etats qui nouent des contacts diplomatiques
avec elle, sont, c'est dans l'ordre des choses, l'Union soviétique
et ses satellites est-européens; en octobre 1949 les premiers pays
non-européens, la République populaire de Chine et la Corée,
prennent la suite. Après cela, les possibilités pour la
RDA d'être reconnue par d'autres Etats comme un partenaire égal
en droit sont presque épuisées et les perspectives de se
profiler sur la scène internationale limitées.
Les premiers contacts politiques de la RDA avec l'Union soviétique
ont probablement le caractère de réunions de travail, d'ailleurs
le «Fonds RDA» n'a conservé aucune trace de la visite du Ministre
des Affaires étrangères Andreï J. Vychinski en décembre
1949 ni de celle du président du Présidium du Soviet suprême,
Nicolas M.Chvernik. Aucun souvenir non plus de la première visite
officielle de représentants de la RDA en Union soviétique
en août 1953.
Ouelques
témoignages nous sont pourtant parvenus d'un échange réciproque
intense de délégations de moindre importance hiérarchique.
Au début de ce chapitre, on peut voir un souvenir que Fred Oelßner
a, selon ses dires, reçu lors dune visite en URSS en 1949 ou 1950.
A cette époque, Oelßner est membre de la tête du SED
et, en même temps, il connaît bien certains fonctionnaires,
de sorte que l'on peut classer le présent dans la catégorie
«Cadeaux des gouvernements étrangers» à leurs invités.
Il s'agit d'un modèle réduit de la tour Spassky du Kremlin
avec pendule intégrée. L'inscription russe signifie «en
avant et rien qu'en avant, en avant vers la victoire». L'objet se trouvait
jusqu'en 1972 en possession de la famille Oelßner et fut remis au
Museum für Deutsche Geschichte sur la demande de celui-ci.
En
décembre 1950, Wilhelm Pieck, alors Président de la RDA,
fait sa première visite officielle en Pologne. Témoin cette
petite figure de laiton offerte à Pieck lors de sa visite des usines
Ursus de Varsovie.
Le cadeau du Président polonais Boleslaw Bierut
à ses hôtes lorsqu'il se rend en RDA en avril 1951 a plus
de poids. La statue en bronze de Sigismund III Wasa (roi de Pologne de
1587 à 1632 et de Suède de 1592 à 1603), sur un socle
de marbre massif, est une reproduction miniature du monument qui se trouve
à Varsovie et elle pèse une centaine de kilos. Les dénotations
historiques et culturelles nationales que présentent souvent les
objets des pays est-européens au début des années
50, seront évincées ultérieurement de plus en plus
au profit de symboles du mouvement ouvrier et du système socialiste.
On observe déjà cette tendance dans une figure tchèque
en bronze représentant un soudeur, que Pieck reçoit lors
de sa seconde et dernière visite d'Etat en octobre 1951. On
retrouve sans cesse le motif de l'ouvrier souvent sublimé et idéalisé
dans les œuvres d'arts plastiques réalisées sur la commande
des partis communistes et dans les pays qu'ils dirigent. Rien d'étonnant
donc à ce que la réserve du Deutsches Historisches Museum
abrite plusieurs dizaines de figures de mineurs, d'aciéristes,
de bûcherons ou d'agriculteurs. Le rôle dirigeant de la classe
ouvrière doit bien sûr s'exprimer aussi dans le domaine artistique.
Au cours des années 50, les visites de gouvernants étrangers
en RDA sont rares et la population s'y intéresse beaucoup. Les
premiers invités sont naturellement les chefs d'Etat des pays voisins
socialistes. En mars 1952, après Boleslaw Bierut, le président
tchécoslovaque Klement Gottwald se rend en visits officielle en
RDA. Il amène entre autres un ensemble de figures ornées
des motifs traditionnels des souffleurs de verre bohémiens. Ces
ouvriers, représentés sans souci du pathétique et
sans symbolisme de classe apparent, se distinguent agréablement
des figures ostentatoires de travailleurs héroïques exposées.
Le
prochain visiteur de marque, le Président hongrois Mátyás
Rákosi, apporte avec lui en octobre 1952 un tapis mural représentant
l'écrivain national hongrois Sándor Petöfi. Il ignore,
bien sûr, que quelques années plus tard le Club Petöfi
de Budapest sera le cadre dune opposition dure au régime de Rákosi,
le fera basculer en mars 1956 et causera en novembre une insurrection
sanglante. Un autre présent de l'invité hongrois manifests
la vanité propre à de nombreux dictateurs: sur une gravure
ornée de tous les symboles imaginables du communisme, le visage
de Monsieur Rákosi nous sourit aimablement.
Au milieu des années 50, la RDA fait tout pour s'établir
sur la scène internationale. Comme les nations industrielles occidentales
se refusent toujours à reconnaître diplomatiquement la zone
soviétique, on lance des ballons d'essai en direction des pays
en voie de développement d'Asie et d'Afrique. En novembre 1955,
des délégations gouvernementales est-allemandes dirigées
par le vice-Premier ministre et Ministre du Commerce extérieur
Heinrich Rau, se rendent aux Indes et en Egypte,
en janvier 1956 suivent des voyages au Liban, au Soudan et en Syrie.
Les contacts avec ces Etats non-communistes et tous les autres ne se font
pas dans le cadre de relations diplomatiques officielles. La République
Fédérale peut imposer largement sa prétention à
l'exclusivité sur la scène internationale. La RFA s'appuie
sur la doctrine Hallstein et tous les Etats reconnaissant la RDA sont
menacés de la rupture des relations diplomatiques. Jusqu'aux années
60, le poids politique et la force économique de la République
Fédérale contraignent ainsi la RDA à limiter sa présence
politique aux Etats du Pacte de Varsovie et à quelques rares Etats
orientés sur le communisme ou démontrant leur souveraineté
nationale à l'extérieur du bloc communiste. Seule la République
socialiste fédéraliste de Yougoslavie engage des relations
diplomatiques avec la RDA sans se soucier des réactions de Bonn.
Durant les années 1957-58, la RDA commence à compter en
politique étrangère. Des dirigeants de tous les Etats du
Pacte de Varsovie conclu en 1955, et même des représentants
de la lointaine Mongolie rendent visite à leurs camarades de Berlin(-Est).
En janvier 1957, une députation officielle de la RDA se rend pour
la première fois en tant que «délégation du Parti
et de l'Etat» en Union soviétique. Cette dénomination traduit
le système hiérarchique introduit en Union soviétique
après la mort de Staline et adopté par les Etats-satellites
est-européens. Le chef de parti Ulbricht, Premier Secrétaire
du Comité central du SED, se situe alors au-dessus du chef de gouvernement
Grotewohl, Président du Conseil des Ministres. Ce dernier entreprend
début 1959 son plus long voyage à l'étranger. A côté
de la Chine et du Viêt-nam il visite la République arabe
unie, l'Irak et l'Inde. Il s'agit des premières visites officielles
du Premier Ministre de la RDA à l'extérieur de l'union est-européenne.
Elles donnent lieu à des conversations portant sur un développement
des relations avec les dirigeants des pays-hôtes et naturellement
aussi à de nombreuses rencontres avec diverses organisations.
Parmi les objets laissés par Grotewohl, une cassette
en bois précieux sculpté à l'image du Tadj Mahal,
le monument national indien, et la missive correspondante, nous rappellent
la réception de la délégation est-allemande chez
la «Delhi Printers' Association».L'invité
reçoit du Secrétaire général du comité
national pour les relations culturelles indiennes un calendrier de table.
Les deux présents sont ornés de motifs folkloriques nationaux
et témoignent de la considération éprouvée
pour l'invité, sans manifester une concordance de vues politiques.
La neutralité des cadeaux indiens exprime la tentative du pays
d'entretenir des relations amicales avec tous les Etats quels que soient
leurs statuts de société.
Lorsque Wilhelm Pieck meurt, le 7.9.1960 à l'âge de 84 ans,
sa fonction, tout au plus honorifique, est abolie au profit de la constitution
d'un Conseil d'Etat, dont Walter Ulbricht, chef du SED, sera «élu»
Président. Son premier souci est de faire fortifier la frontière
intérieure allemande. Si la construction du Mur de Berlin assure
jusqu'à nouvel ordre l'existence de la RDA en tant qu'Etat, elle
ne favorise pas vraiment son crédit politique. Un Etat qui veut
démontrer son ouverture sur le monde et sollicite la reconnaissance
internationale, ne peut pas s'emmurer. Conséquence logique: on
ne consigne aucun succès spectaculaire sur le plan de la politique
extérieure dans les années qui suivent. Ne sont parvenus
au Deutsches Historisches Museum que des souvenirs d'une des «visites
d'amitié» traditionnelles en Union soviétique.
En
février 1965, l'heure a sonné pour Walter Ulbricht. Sur
l'invitation du Président Gamal Abd el Nasser, il visite la République
arabe unie.
C'est la première visite officielle d'un dirigeant de la RDA dans
un pays non-socialiste, et les médias est-allemands de s'enthousiasmer:
«Walter Ulbricht acclamé au Caire» et «21 coups
de canon sur le Nil témoignent de la défaite de Bonn». Ce
triomphe exprime en même temps la joie de voir la défaite
de la République fédérale. Ulbricht rapporte en souvenir
un portrait du Président égyptien et signé par lui,
dans un cadre d'argent. En septembre 1966, Ulbricht se rend en Yougoslavie.
Un mois plus tard, une délégation gouvernementale de la
RDA peut se rendre en visite officielle à Svesvograd, la «petite
ville des étoiles». On lui remet une figure décorée
de motifs de la conquête spatiale.
La RDA tente de contrer l'isolation politique que le Mur a encore approfondie,
en se rapprochant des mouvements de libération nationale et des
jeunes Etats du tiers monde. Chaque fois que des militaires aux idées
nationalistes et se voulant révolutionnaires s'insurgent dans les
pays africains et asiatiques, la RDA crie à la «révolution
anti-impérialiste», reconnaît sans tarder les nouveaux gouvernements
et invite leurs représentants à lui rendre visite. Les coups
manqués ne sont pas rares, vu que sous le manteau du «héros
de la révolution» se cache parfois la sombre figure du dictateur.
Le 25 mai 1969, le général Mohammed Gaafar Nemeyri se propulse
à la tête du Soudan avec son «conseil révolutionnaire».
Le lendemain déjà, le nouveau gouvernement de Khartoum noue
des contacts diplomatiques avec la RDA. A Berlin(-Est), c'est le ravissement!
On vient de porter un coup rude aux prétentions de la RFA qui se
veut Etat unique. L'euphorie atteint son point culminant quand Nemeyri
se rend en visite officielle en RDA, il sera le premier chef d'Etat d'un
pays non-socialiste à le faire. Le quotidien «Neues Deutschland»
consacre onze pages à cette visite de cinq jours. Cette «amitié
invulnérable» entre les peuples de la RDA et le «Soudan révolutionnaire»
sera vite troublée: en juillet 1971, Nemeyri fait interdire dans
son pays le Parti communiste et les syndicats, et fait exécuter
les leaders. Il n'a plus aucune chance de voir ses présents exposés
au Museum für Deutsche Geschichte!
Au cours des années 60 et 70, on assistera à de nombreuses
rencontres des plus hauts fonctionnaires de la RDA et de la République
Démocratique du Viêtnam, comme elle s'appelait à l'époque.
Il s'agit essentiellement d'organiser l'aide de la RDA au gouvernement
vietnamien.
Les pièces exposées symbolisent le combat
de l'armée et du peuple vietnamiens contre les intervenants américains.
Elles contiennent souvent des fragments de bombardiers américains
abattus ou d'autres signes de succès obtenus sur les troupes américaines.
Une petite figure montre un Mig 21 soviétique sortant victorieux
d'un combat avec
un avion de chasse de la US Air Force, une autre composition représente
l'arrestation d'un pilote américain, son avion vient d'être
abattu, par une jeune combattante de l'armée populaire vietnamienne.
Il s'agit ici de la reproduction plastique d'une photo de presse parue
dans le monde entier - une allégorie au triomphe de David sur Goliath.
La RDA reçoit aussi un fragment du 1500ème avion américain
abattu au-dessus du Viêt-nam. Il sera amoureusement disposé
dans un petit coffret et l'ambassadeur vietnamien l'offrira à Walter
Ulbricht au nom du Président Hô Chi Minh.Un
vase offert à Willi Stoph en mars 1973 a été fabriqué
à partir d'une douille de projectile.
Un
autre trophée du combat révolutionnaire nous vient de Cuba
et témoigne de la lutte de Fidel Castro contre ses adversaires
à l'intérieur du pays et à l'étranger. Il
s'agit de la veste de l'uniforme d'un mercenaire capturé en septembre
1961 lors de la tentative d'invasion de la Baie des Cochons.
Il est impossible de vérifier les légendes dont sont entourés
de tels objets, mais on devrait contempler ces souvenirs du combat d'un
petit peuple contre un adversaire beaucoup plus puissant d'un autre œil
que les nombreux cadeaux ruisselants de symboles, mais en fin de compte
dépourvus de signification, d'autres pays socialistes.
En mai 1971, Walter Ulbricht doit démissionner de son poste de
Premier Secrétaire du Comité central du SED, il est remplacé
par Erich Honecker. L'entrée en fonction de ce dernier en tant
que chef de parti et donc d'homme le plus puissant de l'Etat, coïncide
avec l'époque de l'épanouissement de la coalition sociolibérale
à Bonn et est aussi une réaction face à la politique
du gouvernement Brandt-Scheel. Une nouvelle ère des relations germano-allemandes
s'ouvre, Willy Brandt et Willi Stoph se sont déjà rencontrés
deux fois en 1970, des négociations sur un accord de circulation
sont en cours. La République fédérale manifeste ses
efforts pour relâcher la tension dans ses relations avec la RDA
en abandonnant la doctrine Hallstein. Après la signature du Traité
fondamental en décembre 1972, la RDA noue en quelques mois des
relations diplomatiques avec presque tous les Etats de la planète.
L'entrée des deux Etats allemands aux Nations unies en septembre
1973 marque le succès des efforts de la RDA qui devient une partenaire
de droits égaux dans l'arène politique. Mais cela ne suffit
pas encore. Le public doit avoir l'impression d'une sorte d'omniprésence
internationale de la RDA. Pour ce faire, Honecker et son équipe
développent à partir du milieu des années 70 un programme
de déplacements et de réceptions qui ébranlerait
le budget de n'importe quelle grande puissance. Au cours de son mandat
en tant que leader du parti et, à partir d'octobre 1976, en tant
que chef d'Etat, Honecker ne visitera pas moins de 38 pays et ne recevra
pas moins de 50 chefs d'Etat ou de gouvernements étrangers. Rien
qu'en 1977, Honecker se rend en mission officielle en Yougoslavie, en
Roumanie, en Pologne, en Bulgarie, au Viêt-nam, aux Philippines
et en Corée du Nord. En contrepartie, il reçoit les chefs
d'Etat ou de gouvernement de Hongrie, Saõ Tomé et Principe,
de Mongolie, du Laos, de Pologne, de Roumanie, de Bulgarie, du Viêt-nam,
de Finlande, de Tchécoslovaquie et du Congo.
Ces visites officielles sont exploitées par les médias est-allemands
qui offrent à la population une image déformée de
l'importance internationale de la RDA. Le rôle du Museum für
Deutsche Geschichte en ce qui concerne la propagande est, lui aussi, loin
d'être négligeable. On lui fait régulièrement
parvenir des souvenirs de tous les pays possibles et imaginables qui témoignent
des «conquêtes» diplomatiques des dirigeants du Parti et de l'Etat.
Et le Fonds grossit sans que le musée prenne d'initiatives particulières.
Comme
il se doit, Erich Honecker se rend aussi dans les Etats-frères
et reçoit leurs représentants. Les cadeaux échangés
à cette occasion entrent dans la catégorie des créations
banales mais riches en symboles des années 50 et 6o. Lors d'une
visite à l'Institut cybernétique de l'Académie des
Sciences de l'URSS, on lui remet par exemple la maquette d'un robot qui
traduit l'idée bien ancrée que la RDA peut, aux côtés
de l'Union soviétique, surpasser l'Occident dans le domaine de
la cybernétique et de la technique d'automatisation. Les présents
originaires d'Union soviétique allient souvent les motifs traditionnels
de l'art populaire aux symboles et aux images de la lutte révolutionnaire.
De simples illustrations d'outils ou de pièces de machines caractérisent
les présents offerts par les entreprises de l'industrie lourde.
Nous les trouvons déjà sur les cadeaux d'anniversaire des
années 30 destinés à Wilhelm Pieck. Après
1945, on observe ce phénomène dans tous les pays qui se
sont voués à la cause du socialisme. Les héros du
mouvement communiste, reproduits dans toutes les formes d'expression des
beaux-arts, sont également un motif que l'on retrouve dans nombre
de cadeaux des pays socialistes à leurs invités. En octobre
1975, les travailleurs de l'usine automobile de la Kama offrent aux éminents
invités est-allemands un ouvrage de cuivre représentant
Ernst Thälmann.
Il est courant d'offrir à son invité un
cadeau orné de son portrait. L'exemple le plus frappant en est
le portrait d'Erich Honecker sur une fourrure que lui offre Mengistu Haïlé
Mariam lors de sa visite en Ethiopie. Les travailleurs de la République
soviétique d'Ouzbékistan étonneront le Président
du Conseil d'Etat de la RDA en lui remettant son portrait sur porcelaine.
Les pièces originaires de Cuba sont le plus souvent empreintes
d'un ardent symbolisme révolutionnaire. Une statue qu'Erich Honecker
reçoit en février 1974 lors d'une visite amicale à
une organisation de colons cubains, est ornée de la reproduction
de «Moncada» et «Granma»,
deux endroits étroitement liés à la révolution
cubaine. La date, 26.7., rappelle le jour de l'année 1953 où
Fidel Castro attaqua avec ses fidèles la caserne Moncada, déclenchant
ainsi la révolution. Le portrait du poète et héros
national José Martí orne le centre de la plaque. L'inscription,
une citation de Fidel Castro, dit: «La valeur de la Mocada ne réside
pas dans l'événement qui ramène au passé,
mais dans celui qui s'oriente sur l'avenir».
Honecker veut cultiver son image à l'étranger et accorde
une valeur particulière aux invitations des pays de l'Ouest. En
novembre 1980, il se rend pour la première fois dans un pays capitaliste
européen, la République d'Autriche. Une coupe en cristal,
présent du gouvernement du Land de Salzbourg, témoigne de
cette visite.En
mai 1981, Honecker
rapporte du Japon la toge de docteur honoris causa de l'Université
Nihon de Tokyo.En
avril 1985, le Président du Conseil d'Etat de RDA passe trois jours
en Italie sur l'invitation du Premier Ministre Bettino Craxi. Erich Honecker,
qui se montre toujours très ouvert et tolérant, profite
de l'occasion pour se rendre au Vatican, où Jean-Paul II le recevra.
Souvenir de cette audience chez le Pape: une mosaïque du Colisée
romain fabriquée dans les ateliers du Vatican.Le
Sénat de Paris dédie à «Monsieur le Président
Honecker» lors de sa visite en janvier 1988 une plaquette dorée.
En 1987, Honecker peut enfin réaliser ce qu'il souhaite depuis
longtemps. En tant que Président du Conseil d'Etat de la RDA, il
se rend en visite officielle en Allemagne fédérale où
il est reçu avec les honneurs du protocole par le Chancelier Helmut
Kohl et le Président Richard von Weizsäcker. Pour les dirigeants
est-allemands, cette visite est le résultat des efforts obstinés
de la RDA pour faire reconnaître définitivement l'existence
de deux Etats allemands souverains. Les médias est-allemands n'ont
jamais accordé autant d'importance à un événement
de politique extérieure. Le journal «Neues Deutschland» rapporte
minutieusement l'emploi du temps de Honecker et toutes ses rencontres
avec des personnages publics d'Allemagne fédérale. Même
l'entretien de trois minutes avec Udo Lindenberg est consigné dans
l'organe central est-allemand. On ne sait malheureusement pas ce qu'est
devenue la guitare que la star du rock a offert à Erich Honecker.
Peut-être
a-t-elle servi des fins aussi utiles que la célèbre veste
de cuir mise en vente par l'émetteur de la jeunesse est-allemande
DT 64 pour un projet de solidarité. Une des pièces reçue
lors de ce voyage, et qui est arrivée au Museum für Deutsche
Geschichte, est une aquarelle représentant la maison natale de
Friedrich Engels.
Inversement, Honecker accorde évidemment de l'importance à
la réception de dirigeants étrangers. A côté
de chefs d'Etat ou de dirigeants de partis des Etats socialistes et divers
représentants de pays africains et asiatiques en voie de développement,
des personnalités de renommée internationale telles que
Indira Gandhi, Urho Kekkonen, Andreas Papandreou, Olof Palme et Bruno
Kreisky acceptent son invitation et lui rendent visite. Il reste des souvenirs
de la plupart de ces visites. Le Premier Ministre Indira Gandhi par exemple
lui remet en juillet 1976 une miniature du Tadj Mahal, et le chef d'Etat
finnois Kekkonen apporte un portrait dans un cadre de cuir avec dédicace
manuscrite pour Erich Honecker.
Le Président Youmjaguin Tsedenbal amène une assiette murale
de cuivre portant une inscription qui invoque l'amitié entre la
RDA et la République populaire de Mongolie. Un coffret à
bijoux argenté rappelle la visite officielle du Premier Ministre
grec Andreas Papandreou en juillet 1984.Le
chef d'Etat du Yémen du Sud, Ali Nasser Mohamed, apporte une reproduction
d'une mosquée de Haïderabad.Willi
Stoph avait reçu la même en octobre 1976 lors d'une visite
en République démocratique et populaire du Yémen.
Les objets en provenance des pays occidentaux que recèle le Deutsches
Historisches Museum n'ont pas de contenu politique.
Il s'agit le plus souvent de pièces artisanales, dont l'origine
et la destination sont indiquées par des dédicaces gravées
ou des cartes de visite. Le caractère neutre des présents
témoigne des principes de la coexistence pacifique entre les Etats
de l'Est et de l'Ouest à l'époque où les systèmes
s'affrontent. Honecker et ses camarades ont certainement renoncé
eux aussi à offrir à leurs invités et hôtes
originaires d'Etats non socialistes des cadeaux appelant symboliquement
ou littéralement à l'abolition du capitalisme.
La RDA entretient également des relations dynamiques avec des organisations
internationales et des mouvements de libération nationaux. Elle
sera l'un des premiers Etats à reconnaître dans l'Organisation
de libération de la Palestine, l'OLP, la représentation
légitime du peuple palestinien. Yasser Arafat et ses intimes s'y
rendront régulièrement, bien avant que le monde occidental
trouve le chef de l'OLP présentable et accepte de négocier
avec lui.
L'engagement
poussé, si l'on considère ses possibilités économiques,
de la RDA au sein des Nations unies et ses sous-organisations, ainsi que
dans le mouvement olympique est certainement aussi dû au désir
des dirigeants est-allemands de faire apparaître la RDA à
tous les niveaux de la scène internationale. Les dirigeants respectifs
de l'ONU, du CIO et d'autres organisations internationales sont invités
plusieurs fois en RDA et reçus avec tous les honneurs diplomatiques.
A l'occasion de l'une de ses visites, le Secrétaire général
des Nations unies, Javier Pérez de Cuellar, remet à Erich
Honecker une figure portant le symbole universel de la paix, la colombe
de Picasso.
Tous ces petits cadeaux, dont aucun ne mérite vraiment le nom pompeux
de «présent du gouvernement», témoignent de la présence
de la RDA dans le cadre de la politique extérieure. La RDA a été
si rapidement et radicalement rayée de la carte du monde, et les
transformations du paysage politique entre 1989 et 1991 sont si importantes,
qu'on serait tenté d'oublier que non seulement de nouveaux Etats
sont apparus en Europe mais que l'un d'eux a disparu. Il ne reste que
le souvenir des conquêtes socio-politiques de cette autre Allemagne,
gardé vivant par ceux qui n'ont pas tiré profit de l'unité
allemande. Mais le rôle qu'a joué la RDA sur la scène
politique internationale est probablement déjà tombé
dans l'oubli, et cela bien qu'elle ait entretenu des relations diplomatiques
avec plus de cent Etats, qu'elle ait eu avec eux des contacts politiques,
économiques, scientifiques, culturels et sportifs variés
et, en outre, qu'elle ait été membre de presque toutes les
organisations internationales d'importance. Le dépôt bien
particulier du Deutsches Historisches Museum est, à côté
des livres et des dossiers que recèlent les bibliothèques
et les archives, un des rares témoignages de l'existence de cet
Etat. En ce qui concerne la politique extérieure, même si
la RDA a été, sans doute consciemment, plus soucieuse des
apparences que de la substance, et que son influence réelle ait
été moins grande que la direction du Parti et de l'Etat
le croyait ou du moins le suggérait au peuple, il n'en reste pas
moins que cet Etat a été pendant 40 ans une pierre dans
la mosaïque des relations internationales, ce qui justifie que l'on
se souvienne de son existence.
|